Article rédigé par Myriam Panard, consultante en lactation IBCLC pour Lansinoh France
Dans une société comme la nôtre, où la nuit de sommeil est idéalisée, il est normal que tu te sentes vite dépassée par les réveils nocturnes fréquents de ton nourrisson. On ne cesse de te mettre en garde, de te faire peur si tu t’endors avec ton bébé, en invoquant des raisons discutables de sécurité. Tout cela génère beaucoup d’anxiété chez les nouveaux parents, qui se sentent souvent démunis et tiraillés entre les appels de leur bébé et les interdits culturels.
On te répète souvent qu’il ne faut jamais s’endormir avec ton bébé, ce qui peut te faire peur ou te culpabiliser. En réalité, ce qui pose problème, ce n’est pas le fait de s’endormir ensemble, mais de le faire dans un environnement non sécurisé. Beaucoup de spécialistes reconnaissent aujourd’hui que, si les parents risquent de s’endormir malgré eux (fatigue extrême, allaitement la nuit…), il est plus sécurisant de penser la nuit de manière réaliste, et d’adopter un cadre de sommeil partagé sécuritaire plutôt que de lutter au risque de s’endormir dans des conditions dangereuses comme un canapé ou un fauteuil.
En plus, ton entourage te répète sans cesse la sempiternelle question : « Alors, ton bébé fait ses nuits ? », comme si tes compétences maternelles étaient en jeu, surtout si tu allaites ! Comment gérer au mieux cette situation ?
Tout d’abord, il est important d’apporter un éclairage sur le sommeil des bébés et leurs besoins vitaux, de chasser les idées reçues en expliquant les bénéfices des tétées nocturnes pour le couple mère-enfant, et enfin de te proposer quelques idées qui te permettront d’éviter l’épuisement physique et mental, tout en te mettant en garde contre certaines pratiques prônées par de soi-disant experts en sommeil du jeune enfant.
Dis bébé, comment tu dors? A quoi s’attendre lorsqu’on devient parent?
Il est très juste de rappeler que nous faisons partie de la catégorie des mammifères portés, particulièrement immatures et dépendants à la naissance. À ce titre, le besoin de proximité, de chaleur et de contact du nouveau-né est essentiel à sa survie. D’ailleurs, la nature l’a programmé pour déclencher des signaux d’alerte : s’il ne sent plus ta présence, il se manifeste en criant, comme s’il se sentait abandonné et en danger. Comme je le dis souvent aux parents que j’accompagne, les bébés de l’ère moderne n’ont pas changé depuis la préhistoire : si les parents de cette époque lointaine les avaient obligés à dormir seuls dans une grotte séparée de la leur, nous ne serions pas là pour en débattre, car l’espèce humaine aurait disparu depuis bien longtemps…
Méfions-nous donc des détracteurs qui dénigrent les besoins ancestraux des nourrissons et incitent les parents à suivre des protocoles qui les éloignent physiquement et psychologiquement de leur enfant.
En même temps, comme si la nature mettait tout en œuvre pour faciliter l’attachement entre toi et ton enfant, on observe chez toi ce besoin instinctif de regarder, toucher, sentir ton bébé. C’est ce que Winnicott, pédiatre et psychanalyste britannique très connu, appelle « la préoccupation maternelle primaire ». Cet état d’hypervigilance te permet de protéger ton bébé de jour comme de nuit et de le nourrir de lait et d’affection sans limite, sauf en cas de traumatisme ou de difficultés liées à ton histoire personnelle.
Les premiers mois de vie sont comme la continuité de la gestation pour ton bébé. Durant sa période fœtale, il dort presque en permanence tout en bougeant et en tétant ses doigts ou le cordon, ce dernier le reliant au placenta qui lui assure une alimentation continue, comme s’il était en perfusion. Son sommeil, décrit comme « indéterminé » car non organisé en cycles précis, domine ; ce n’est que vers le huitième mois qu’on voit apparaître des phases de sommeil agité ou léger, de sommeil calme ou profond, tout en observant encore beaucoup de sommeil indéterminé.
En général, dès la naissance ou presque, ces mêmes cycles vont s’enchaîner toute la journée avec de courtes périodes d’éveil, sauf en soirée et durant la nuit où les phases d’éveil et d’agitation se prolongent. En tout cas, le sommeil indéterminé domine encore, ce qui déstabilise beaucoup les jeunes parents… Ses réflexes l’incitent à chercher souvent le sein même dans un demi-sommeil ; ce sein devient alors pour lui le « cordon sensoriel », couvrant tous ses besoins primaires de chaleur, de contact, de succion et de lait.
Il y aura tout de même des moments où tes nuits seront plus interrompues que d’autres, notamment en cas d’inconfort digestif passager, de petites maladies de la sphère ORL, d’infection urinaire, de changement d’environnement, de stress familial, de séparation au moment de la reprise du travail, de poussées dentaires… et aussi lorsque ton bébé sera tellement curieux et stimulé le jour qu’il en oubliera de se nourrir suffisamment pour ensuite se rattraper la nuit, au calme, avec des tétées bien vigoureuses (c’est notamment le cas autour de 4 mois).
Dans toutes ces situations de réveils nocturnes, si tu réponds instinctivement aux appels de ton bébé en lui proposant le sein, tu suis l’ordre naturel des choses — et c’est tant mieux. Ne crois surtout pas que tu vas instaurer de « mauvaises habitudes » comme certaines personnes pourraient te le faire croire. Il est important en revanche d’écouter ton cœur et ta petite voix intérieure, c’est plus sûr ! N’es-tu pas « mère-veilleuse » ? comme le dit souvent Suzanne Colson, auteure de L’allaitement instinctif.
Quels sont les avantages d’allaiter ton bébé la nuit?
Comme nous l’avons vu plus haut, être parent, c’est répondre aux besoins de ton enfant de jour comme de nuit (faim, réassurance, inconfort…). William Sears, père de 7 enfants et pédiatre américain très connu, en parle très bien dans son livre Être parent le jour, et la nuit aussi. Tu joues le rôle important de co-régulateur pour un développement harmonieux de ton bébé, qui n’a pas encore les moyens de répondre à ses besoins de manière autonome. En ce sens, l’allaitement au sein est un formidable atout.
Tout d’abord, ton nouveau-né a besoin de se nourrir souvent, jour et nuit, pour assurer la continuité de son développement, comme durant sa vie intra-utérine. Par ailleurs, le lait maternel contient un acide aminé, le L-Tryptophane, dont la particularité est d’aider ton bébé à fabriquer de la mélatonine, cette hormone naturelle qui facilite l’endormissement et la régulation des rythmes circadiens (le système interne qui permet de distinguer le jour de la nuit). Le sommeil des nouveau-nés et des nourrissons est intrinsèquement lié aux tétées, c’est biologique. De plus, la succion au sein apaise et réconforte ton bébé, l’aidant facilement à se rendormir. Les contacts en peau à peau (visage contre le sein) durant les tétées sont autant de moyens de rassurer ton bébé par la chaleur et l’odeur de ta peau, le bruit de ton cœur et le rythme de ta respiration.
En ce qui te concerne, ces rendez-vous de tétées nocturnes avec ton bébé t’assurent une bonne lactation. Là encore, c’est physiologique, puisque la principale hormone responsable de la production de lait, la prolactine, connaît des pics de sécrétion importants durant la nuit. Fais donc attention aux biberons de lait infantile proposés par ton entourage pour remplacer les tétées de nuit dans le but de te laisser des plages de sommeil plus longues. Cela risque non seulement d’engendrer des engorgements inconfortables et une baisse de lactation, mais cela contribue aussi à empêcher cette synchronisation naturelle de ton sommeil avec celui de ton bébé.
Comment gérer au mieux ces tétées nocturnes afin d’éviter l’épuisement?
Ces tétées nocturnes seront en fait plus ou moins bien vécues en fonction de ton tempérament. Si tu gardes un esprit positif et que tu te connectes par la pensée avec toutes les autres mamans du monde qui sont en train d’allaiter leur bébé, comme toi, en pleine nuit, cela t’aidera à apprécier ces rendez-vous câlins au calme avec ton bébé. Imagine donc une ronde universelle exclusivement féminine et sacrée… c’est joli, non ? Ces tétées non seulement aideront ton bébé à grandir et à avoir confiance, mais elles seront aussi bénéfiques pour toi, que tu pourras vivre comme de vrais moments de plénitude… et crois-moi, ce lien très fort et précieux que tu tisseras chaque nuit avec ton enfant te restera en mémoire toute ta vie.
Par contre, ce qu’il est important d’aménager, c’est ton espace sommeil. En effet, si tu es obligée de te lever chaque nuit à plusieurs reprises pour aller allaiter ton bébé, tu seras vite épuisée…opte pour un berceau cododo près de toi ou si tu préfères, partage ton propre lit avec ton bébé, toute la nuit ou une partie seulement comme il te plaira. C’est une pratique courante dans de nombreux pays; au Japon par exemple on trouve inacceptable voire maltraitant que la mère ne dorme pas avec son enfant... Voici un rappel des recommandations en terme de sécurité, notamment avec les bébés de moins de 6 mois: ne dors pas avec ton bébé si tu es obèse, fumeuse, consommes de l’alcool, des drogues ou prends des médicaments modifiant ton état de conscience; ta chambre ne doit pas être surchauffée, ton bébé devrait être habillé léger, ni avoir la couette sur lui et pour finir ton matelas devrait être suffisamment ferme et non encombré de multiple coussins et de peluches. De toute façon il faut savoir qu’une maman allaitante a comme des petites antennes magiques qui détectent la moindre anomalie chez son bébé…
Petite mise en garde : si on te fait croire que ton bébé a un problème parce qu’il "ne fait pas encore ses nuits" et que l’on te persuade alors de consulter un gourou du sommeil des bébés, sache que leurs méthodes de « dressage » imposant des rythmes rigides de repas, d’éveil-jeu et de sommeil sont très controversées dans le monde des neurosciences (voir les livres du Dr Rosa Jové ou du Dr Gueguen). En effet, leurs protocoles contribuent à augmenter les niveaux de stress au sein de la famille, induisent souvent un arrêt plus précoce de l’allaitement avec des implications physiques et psychologiques plus ou moins graves chez la maman. En outre, le fait de laisser pleurer longtemps et de manière répétitive un bébé sans le réconforter provoque des altérations chimiques et neuronales dans son cerveau. Ceci peut avoir des effets délétères sur son développement futur. Des dysfonctionnements émotionnels et comportementaux peuvent alors apparaître durant l’enfance, l’adolescence ou à l’âge adulte. Prudence donc avec les solutions miracles qu’on te vante sur le marché du sommeil !
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Ressources:
-Dormir sans larmes, Dr Rosa Jové
-Être parent le jour..et la nuit aussi (comment aider votre enfant à dormir?) William Sears
-Pour une enfance heureuse, Dr Catherine Gueguen
-Article de C.Laurent: Influence de la proximité mère-bébé sur le sommeil du nouveau-né et celui de sa mère, et sur l’allaitement.Quelle proximité recommander sans mettre en danger la sécurité de l’enfant? (2010)
https://amis-des-bebes.fr/pdf_news/2013/Proximite_sommeil_allaitement_CL2011.pdf
-L’allaitement instinctif, Suzanne Colson
-Le 4e trimestre de grossesse, Ingrid Bayot
-Recommandations de l’UNICEF en cas de Sommeil partagé avec bébé (voir le document PDF)