Article rédigé par Myriam Panard, consultante en lactation IBCLC pour Lansinoh France
Quoi de plus doux et naturel pour un bébé allaité que de s’endormir au sein, ou proche du sein après une bonne tétée?
Pourtant, ce comportement si physiologiquement normal est souvent mal vu dans notre société. En effet, on fait croire aux parents qu’il est préférable de ne pas associer la tétée au sommeil au risque de créer une dépendance chez leur bébé, un épuisement maternel et un casse-tête pour les autres personnes qui auront à garder le bébé . Qu’en est-il vraiment?
Il est difficile, je l’avoue, lorsque l’on devient parent et que l’on souhaite le meilleur pour son enfant, de s’y retrouver parmi tous les conseils que l’on vous prodigue, d’autant plus que ceux-ci sont souvent divergents…Ex: « Porte ton nouveau-né le plus possible, ne le laisse pas pleurer, il a besoin d’être rassuré, c’est important pour son développement », « Ne laisse pas ton bébé s’endormir sur toi, il va prendre de mauvaises habitudes ! Pose-le et laisse-le pleurer, il arrivera bien à s’endormir tout seul, sinon tu vas devenir son esclave ! »
Que faire?
Le mieux pour toi est non seulement de t’informer auprès de sources sûres, basées sur des études scientifiques menées par des spécialistes, mais aussi de suivre ta petite voix intérieure, car toi seule, en tant que maman, peux savoir ce qui est juste dans TA situation.
En tout cas, il faut savoir que beaucoup d’idées fausses circulent à propos du sommeil des jeunes enfants et causent plus de mal que de bien.
Tout d’abord, il faut rappeler que les êtres humains naissent particulièrement immatures et dépendants. Donald Winnicott, le célèbre pédiatre et psychanalyste anglais affirmait en 1943: « There is no such thing as a baby » que l’on pourrait traduire par « Un bébé, ça n’existe pas » sous-entendant qu’un bébé ne peut exister sans sa mère (ou un substitut maternel ). Il met ainsi l’accent sur la relation mère-enfant nécessaire à la survie du bébé. Ce lien fondamental va permettre au bébé de se construire jour après jour en tant que personne distincte de sa mère.
De plus, le lait maternel contient un acide aminé, le L-Triptophane, dont la particularité est d’aider ton bébé à fabriquer de la mélatonine, cette hormone naturelle qui facilite l’endormissement et la régulation des rythmes circadiens (système interne pour reconnaitre la différence jour-nuit) . Le sommeil des nouveau-nés et des nourrissons est donc intrinsèquement lié aux tétées, c’est biologique et donc normal pour un tout-petit d’associer le sein au sommeil. Par ailleurs, la succion au sein apaise et réconforte le bébé, l’aidant facilement à se calmer et se rendormir. Il est baigné d’ocytocine (cette fameuse hormone du bien-être, du lien et de l’amour) et toi aussi par la même occasion, ce qui entraine un lâcher-prise, une somnolence toute naturelle.
Le rôle des parents est de co-réguler les émotions de leur bébé en répondant à ses besoins d’attachement profond afin qu’il puisse à un moment donné s’auto-réguler grâce à son « réservoir de sécurité émotionnelle » qu’il se constitue au fil du temps.
A chaque étape de son développement et selon son vécu du moment, le passage dans le sommeil nocturne pourra lui paraitre menaçant (angoisse de la séparation entre 8 et 12 mois, entrée en crèche, à l’école maternelle, petites maladies infantiles, poussées dentaires, nouvelle fratrie, déménagement, voyages..). Or, l’enfant n’a aucune intention délibérée de déranger ses parents, il ne les manipule pas comme certaines personnes pourraient vous le faire croire…c’est plus fort que lui, il a besoin de se sentir réconforté, apaisé. Seule la présence bienveillante de l’une de ses figures d’attachement principales (le parent) pourra alors le combler en l’accompagnant à sa manière dans son sommeil (tétée câlin, petit massage, douceur dans la voix, berceuse…)
Tout comme la marche, l’acquisition de la propreté ou la gestion de la nourriture solide, le sommeil est un processus évolutif. Et comme le dit Dr Rosa Jové « un jour l’enfant dormira et s’endormira sans problème » . Cela prend environ 5 à 6 ans pour une maturation complète du sommeil.
Cela se fera à son rythme avec de grandes variations d’un enfant à l’autre :
- en fonction de son patrimoine génétique (nous sommes en fait programmés pour être de petits, moyens ou gros dormeurs avec une horloge biologique propre à chacun mais définie par l’alternance jour-nuit, nous sommes faits pour être éveillés le jour et endormis une partie de la nuit). Lutter contre ses gènes entraine souvent des problèmes de santé
- en fonction de son environnement plus ou moins favorisant (bruits ambiants, luminosité, température de la pièce..)
- en fonction de son vécu et de ses parents, plus ou moins patients, unis, disponibles, protecteurs, stables et compréhensifs
Les cycles de sommeil constitués chacun d’une alternance de différents états (sommeil léger /actif/paradoxal, lent/profond) s’allongent avec la croissance, ils passent de 45-60 min chez le bébé à 90-120 minutes chez l’enfant de 5-6 ans et l’adulte avec au passage certaines étapes de maturation que je ne détaillerai pas ici. Pour en savoir plus sur cette progression et les différents états de sommeil, je vous invite à lire le livre très documenté du Dr Rosa Jové.
Une chose importante à signaler tout de même et qui est absolument normale chez tout être humain: les MICRO-RÉVEILS . Ceux-ci apparaissent entre les cycles de sommeil. Ils sont nombreux et nécessaires pour des raisons de contrôle physiologique et de vigilance. On ne s’en souvient généralement pas au matin mais ils existent bel et bien, sans parler des vrais réveils d’adultes durant lesquels on se lève pour boire un peu d’eau, se découvrir, aller aux toilettes puis on se recouche et on entame à nouveau un cycle de sommeil sauf en cas d’insomnie réelle.
Chez le nourrisson, ces micro-réveils sont protecteurs : ils permettent d’éviter les apnées du sommeil et donnent l’occasion au bébé de téter, ce qui est favorable à sa croissance et à la lactation de sa maman. Chaque micro-réveil n’est pas nécessairement synonyme de tétée, sauf cas particulier ou lors de poussées de croissance. Si tu es dans cette situation et que tu te sens à bout, je te conseille de consulter une spécialiste en lactation (IBCLC) qui t’aidera à en trouver la cause ou à gérer au mieux ces nombreuses interruptions nocturnes, quel que soit l’âge de ton bébé.
En tout cas, il est important d’aménager ton espace sommeil. En effet, si tu es obligée de te lever chaque nuit à plusieurs reprises pour aller allaiter ton bébé, tu seras vite épuisée… Opte plutôt pour un berceau cododo fixé à ton matelas ou, si tu préfères, partage ton propre lit avec ton bébé, toute la nuit ou seulement une partie, comme il te plaira.
Voici d’ailleurs un petit rappel des recommandations en termes de sécurité, notamment avec les bébés de moins de 6 mois : ta chambre ne doit pas être surchauffée, ton bébé devrait être habillé léger, ne pas avoir la couette sur lui, et ton matelas devrait être suffisamment ferme et non encombré de multiples coussins ou peluches.
De toute façon, il faut savoir qu’une maman allaitante a comme des petites antennes magiques qui détectent la moindre anomalie chez son bébé… alors fais-toi confiance !
Tu te demandes sûrement comment tu vas faire lorsque le moment de faire garder ton bébé sera venu, si celui-ci ne s’endort encore qu’au sein ? Pas de panique… Il n’est pas nécessaire de bousculer ton petit s’il n’est pas encore prêt à s’endormir autrement : la personne qui en aura la garde trouvera un autre moyen pour l’accompagner dans son sommeil (bercements, portage, berceuses)… Elle deviendra sa figure d’attachement secondaire et, à ce titre, après une période d’adaptation plus ou moins longue en fonction de l’enfant, un nouveau rituel d’endormissement sera instauré, visant progressivement et en douceur l’autonomie de ton petit.
Si ton bébé se sent en sécurité affective, il s’adaptera à ce nouvel environnement. Fais-lui confiance !
En conclusion, plus tu maintiens une proximité physique avec ton enfant en le portant, en l’accompagnant dans son sommeil (avec ou sans tétée), plus tu es pleinement disponible pour satisfaire son besoin vital d’attachement et de protection (notamment aux heures du coucher), plus son sentiment de sécurité grandira harmonieusement. Il parviendra alors à son rythme à s’auto-réguler et à trouver le sommeil tout seul, même lors des micro-réveils nocturnes.
Le plus important, en tant que parent, est de ne pas vouloir brûler les étapes, c’est-à-dire de ne pas précipiter l’enfant : il vit une temporalité différente de la tienne et chaque enfant est unique, alors ne le compare pas aux enfants des autres.
Ressources:
-Dormir sans larmes, les découvertes de la science du sommeil de 0 à 6 ans, Dr Rosa Jové
-William Sears, Être parents le jour, et la nuit aussi
-Sleeping with your baby, James J. McKenna
-Enfant sécurisé, enfant heureux Dr Anne Raynaud
-Le sommeil, le rêve et l’enfant, Dr Marie Thirion & Dr Marie-Josèphe Challamel
-Le quatrième trimestre de la grossesse, Ingrid Bayot